Interview de Xavier Raufer - Criminologue
/
SDBR News : Dans le numéro 42 de la revue « Sécurité Globale* » que vous dirigez, vous analysez, historiquement et de façon très documentée, les origines des mouvements anticoloniaux menaçant la France quotidiennement. Pouvez-vous nous en résumer les grandes lignes ?
Xavier Raufer **: La première vague d'agit-prop anticolonialiste fut lancée en 1927, depuis Bruxelles, par l'Internationale communiste (ou Komintern) ; elle visait les colonies européennes d'Asie (Indochine, etc.) et d'Afrique, continent alors en grande partie colonisé par la France et le Royaume-Uni ; plus tard l'Italie, etc.
Alors, le Komintern institua un appareil important et diversifié, mobilisant des milliers d'agents issus de l'URSS ou des partis communistes européens ou asiatiques. Cette campagne s'arrêta vers 1936, l'agit-prop-Komintern se mobilisant désormais pour la Guerre d'Espagne (1936-1939). Tout fut mis en pause lors de la seconde guerre mondiale, mais les efforts de 1927-1936 permirent les succès des décennies 1950-70 dans les guerres dites "coloniales" (Vietnam, Algérie, etc.)
Un exemple : "Kominternien" ayant triomphé après-guerre lors de guerres coloniales, Nguyen ai Quac - dit "Ho Chi Minh" - est co-auteur, en 1931, du manuel de guerre civile "L'insurrection armée", signé du pseudonyme collectif "A. Neuberg". Brochure publiée par le "Bureau d'édition" du Parti communiste, dont le titre complet est alors "Parti communiste SFIC (Section française de l'Internationale communiste)".
Or de façon frappante et typique, on retrouve toutes les méthodes, pratiques, etc., de l'agit-prop-Komintern en Nouvelle-Calédonie et en Martinique aujourd'hui ; ce, partant d'un "Baku Initiative Group" (BIG) sis en Azerbaïdjan, ex-république soviétique dirigée par Ilham Aliev, dont le père, Haydar, qui présida aussi l'Azerbaïdjan, était général-major du KGB, longtemps patron de ce service pour son pays. Ce n'est certes pas un hasard.
SDBR News : Vous parlez de « guerre hybride » dans la revue « Sécurité Globale ». Ne devrions-nous pas parler plutôt de « guerre asymétrique et globale » contre la France ?
Xavier Raufer : La guerre hybride associe celle, chaude, des champs de bataille et du militaire "en kaki", à des opérations relevant de la "stratégie indirecte". On affaiblit son adversaire en lui portant des coups obliques et anonymes, sans se dévoiler. M. Macron soutient l'Ukraine, la France a épaulé l'Arménie ? "On" le lui fait payer en usant d'un ressort bien connu, l'anticolonialisme, pratique classique dans les pays jadis communistes. Il n'y a qu'à voir comment la Russie (ex-URSS) procède pour nous éliminer d'Afrique : tout pareil.
SDBR News : A l’échelon mondial, pensez-vous que la France soit plus visée que d’autres pays ? Si oui, pourquoi ?
Oui, plusieurs raisons à ça : d'abord, M. Macron est devenu la tête de turc de bien des pays du "Sud global". Il exsude un mépris apitoyé de premier de la classe pour le reste de l'humanité et cette arrogance passe mal. Hors de tout contexte politique, parfois, il en fait trop dans la pénitence post-coloniale ; parfois il assène des leçons de morale à des chefs d'État ou de gouvernement ne lui ayant rien demandé, qui supportent ça toujours plus mal.
Ensuite, la France est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations-Unies ; sa diplomatie est parmi les plus anciennes, répandues et illustres du monde ; cela l'expose désormais plus que ça ne la protège. Parfois, la situation internationale exigerait de sortir des leçons de morale et de montrer les dents... mais MM. Macron et consorts ne font que bavarder. Un proverbe chinois dit "Le mot chien ne mord pas".
SDBR News : Pensez-vous, dans ce contexte, que les diatribes des gouvernants français contre le Président de la Fédération de Russie soient un atout pour la politique internationale de la France ?
Xavier Raufer : Là aussi, on est dans le bavardage stérile... Exemple : sur le front ukrainien, l'armée russe tire de 30 000 à 50 000 obus d'artillerie lourde par JOUR. 50 000 obus de 155 pèsent plus de 2 000 tonnes (1 obus = 42 kg). À cette intensive cadence de tir, combien de temps la France tiendrait-elle dans un combat de haute intensité ? Moins d'une semaine.
Aussi, combien de temps faut-il pour installer des usines produisant, à cadence rapide, de pourtant « low-tech » obus d'artillerie lourde ? Une décennie. Enfin, un basique obus (non guidé) de 155 coûte plus de 5 000 euros. Pourquoi ce prix extravagant ? la production de biens civils étale les coûts (voitures, etc.) sur des millions d'exemplaires ; c'est bien sûr impossible pour des arsenaux. Mettons tout ça bout à bout : insister serait cruel.
SDBR News : Pensez-vous que ces mouvements qui menacent les intérêts de la France, non seulement dans ses anciennes colonies mais aussi dans ses territoires ultramarins, soient le révélateur de l’effondrement du professionnalisme au sein du Quai d’Orsay (MAE) ?
Xavier Raufer : La France dispose - encore - de tous les instruments du régalien, à un haut degré de professionnalisme. Ce qui pèche n'est pas le véhicule, mais le pilote et l'équipe d'entretien. Songeons que sur 1000 euros de dépense publique, TOUT le régalien, c'est 61 euros. Pire : dans ce régalien, la justice - clé de voute de toute société humaine - c'est CINQ euros. Toute la "protection sociale", dont l'entretien d'une immensité de parasites divers, c'est ± 560 euros sur 1000€.
La sagesse populaire dit "le poisson pourrit par la tête" : dans un pays à la tradition politico-administrative aussi centralisée que la France, toute impulsion vient forcément du sommet. Que le sommet émette énergiquement des impulsions positives, une grande part de ce qui patine ou échoue aujourd'hui pourra être corrigé.
---------------------------------
*Animée par Xavier Raufer, la revue trimestrielle Sécurité Globale étudie toute la géopolitique de l'illicite (terrorismes, crime organisé, trafics transcontinentaux, finance criminelle, etc.) La revue est diffusée mondialement par la plateforme académique CAIRN - https://shs.cairn.info/revue-securite-globale?lang=fr
**Docteur en géopolitique de Paris-Sorbonne, Xavier Raufer a, plus de trente ans, enseigné à l'Institut de criminologie de Paris (Université Paris II) puis au pôle sécurité-défense du Cnam et dans une académie de l'École militaire. Menées avec des institutions spécialisées de France et du Golfe, ses présentes recherches, portent sur l'application au domaine stratégique-géopolitique, d'outils d'intelligence artificielle ("aide à la décision" etc.)