Trump envisageant de reprendre les essais nucléaires fait réagir les Russes
/Face aux déclarations du président Trump sur la reprise des essais nucléaires, le président russe Vladimir Poutine a demandé aux membres permanents du Conseil de sécurité russe de présenter leurs avis face à cet événement. Au cours des échanges, lancés par une question posée en dehors de l’ordre du jour par le président de la Douma, plusieurs hauts responsables russes ont souligné que les intentions américaines s’inscrivent dans une dynamique plus large de démantèlement des régimes de contrôle des armements (retraits successifs des traités ABM, FNI, Ciel ouvert) et de modernisation accélérée de l’arsenal nucléaire américain.
Le ministre russe de la Défense, Andreï Belousov, a dressé un tableau alarmant :
développement de nouveaux vecteurs (missile Sentinel, sous-marin Columbia, bombardier B-21),
réactivation de lanceurs Trident II,
conversion de B-52H,
déploiement prévu du système hypersonique « Dark Eagle » en Europe.
Il a évoqué également les exercices « Global Thunder 2025 »[1], explicitement orientés, selon lui, vers des frappes nucléaires préventives contre la Russie.
En réponse, il recommande de lancer sans délai les préparatifs d’essais nucléaires à grande échelle, en s’appuyant sur les capacités de Nouvelle-Zemble (archipel dans la mer de Kara).
Pour sa part, le chef d’état-major, Valery Gerassimov, insiste sur l’urgence d’une réaction proactive, soulignant que l’ambiguïté américaine ne saurait justifier l’inaction. Le directeur du renseignement extérieur, Sergueï Narychkine, confirme lui l’absence de réponse claire de Washington aux demandes diplomatiques russes.
Le Secrétaire du Conseil de sécurité et ancien ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, évoque une cacophonie de déclarations américaines, oscillant entre essais limités et démonstration de force.
Au terme de l’échange, Vladimir Poutine a conclu en rappelant l’attachement de la Russie au Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE), tout en réaffirmant que toute reprise américaine entraînerait une réponse symétrique.
Il charge donc les ministères et services concernés de préparer des propositions sur d’éventuels essais.
Gaël-Georges MOULLEC, Docteur-HDR en histoire contemporaine. Chercheur-associé au CRESAT, Université de Haute-Alsace, Mulhouse.
Vladimir Poutine a tenu une réunion opérationnelle
avec les membres permanents du Conseil de sécurité au Kremlin[2].
5 novembre 2025, 16 h 50, Moscou, Kremlin - Traduction de Gaël-Georges Moullec.
V. Poutine : Chers collègues, bonjour !
[…]
La question principale qui nous occupe aujourd'hui est celle de la sécurité des transports. Le rapporteur est le ministre des Transports, Andreï Sergueïevitch Nikitine.
V. Volodine : Vladimir Vladimirovitch, puis-je m'écarter de l'ordre du jour ?
V. Poutine : Oui, je vous en prie.
V. Volodine : Étant donné que Trump a récemment déclaré que les États-Unis d'Amérique reprenaient les essais nucléaires, les députés posent des questions et sont globalement préoccupés par la situation. Car on comprend où cela peut mener le monde.
Par conséquent, étant donné qu'il y a deux ans, vous avez déclaré que si les États-Unis reprenaient les essais nucléaires, la Russie aurait le droit de faire de même. Sur ce sujet qui préoccupe pratiquement tous les députés et qui fait l'objet de nombreuses questions, pouvez-vous expliquer quelles mesures et actions nous allons prendre ? Étant donné que ce sujet est extrêmement important, d'autant plus que le président des États-Unis s'est exprimé à ce sujet.
V. Poutine : Oui, c'est effectivement une question sérieuse. Écoutons nos collègues.
La parole est au ministre de la Défense, Andreï Removitch [Belousov]. Je vous en prie.
A. Belousov : Cher Vladimir Vladimirovitch, chers collègues,
Nous devons bien sûr nous baser non seulement, pas tant sur les déclarations et les propos des hommes politiques et des responsables américains, mais avant tout sur les actions des États-Unis d'Amérique. Et ces actions témoignent clairement d'un renforcement actif par Washington de ses armements stratégiques offensifs.
Premièrement, la Maison Blanche s'est systématiquement retirée des traités en vigueur depuis de nombreuses années dans le domaine de la réduction et de la limitation des armements. En 2002, elle s'est retirée du Traité sur la défense antimissile, en 2019 du Traité sur les missiles à portée intermédiaire et à courte portée, et en 2020 du Traité sur le ciel ouvert. Par conséquent, l'éventuelle renonciation des États-Unis au moratoire sur les essais nucléaires pourrait constituer une étape tout à fait logique de la part de Washington pour détruire le système de stabilité stratégique mondiale.
Deuxièmement, les États-Unis procèdent à une modernisation accélérée de leurs armes stratégiques offensives. Des travaux sont en cours pour créer un nouveau missile balistique intercontinental «Sentinel» équipé d'une nouvelle ogive nucléaire. Sa portée sera de 13.000 kilomètres. Des travaux sont en cours sur le sous-marin nucléaire stratégique « Columbia », destiné à remplacer l'« Ohio ». Un nouveau bombardier lourd B-21 « Raider » est en cours de développement. Un missile à tête nucléaire est également en cours de développement, etc. Il est prévu de remettre en service 56 lanceurs sur 14 sous-marins de type Ohio et je tiens à souligner qu’il s'agit bien d'une remise en service, et de les équiper entièrement de missiles balistiques Trident II. Des mesures préparatoires sont prises pour reconvertir 30 bombardiers stratégiques B-52H en vecteurs d'armes nucléaires.
Troisièmement, les Américains ont lancé le programme « Dôme de fer », qui prévoit à la fois l'interception antimissile et la destruction avant le lancement des missiles russes et chinois.
Quatrièmement, les États-Unis et l'armée américaine prévoient de mettre en service à la fin de l'année un nouveau complexe de missiles à moyenne portée « Dark Eagle » équipé de missiles hypersoniques d'une portée de 5.500 kilomètres. À l'avenir, il est prévu de déployer ce complexe en Europe et dans la région Asie-Pacifique. Le temps de vol depuis le territoire allemand, où il est prévu de déployer ce complexe de missiles, jusqu'aux cibles situées dans le centre de la Russie sera d'environ six à sept minutes.
Et cinquièmement, Washington organise régulièrement des exercices des forces offensives stratégiques. Le dernier exercice de ce type, Global Thunder 2025, qui portait, je tiens à le souligner, sur des frappes nucléaires préventives contre le territoire russe, a eu lieu en octobre de cette année.
D'une manière générale, il s'agit d'un ensemble cohérent de mesures, comprenant notamment les projets éventuels des États-Unis de mener des essais nucléaires, qui augmentent considérablement le niveau de danger militaire pour la Russie.
Il en découle que nous devons maintenir notre potentiel nucléaire prêt à infliger des dommages inacceptables à l'ennemi, dans toutes les conditions et toutes les situations, et à agir de manière adéquate en réponse aux mesures prises par Washington, afin de garantir la sécurité de notre pays.
Compte tenu de ce qui précède, j'estime qu'il est opportun de commencer immédiatement les préparatifs en vue d'essais nucléaires à grande échelle. La disponibilité des forces et des moyens du polygone central de l'archipel de Nouvelle-Zemble permet de les mener à bien dans des délais très courts.
V. Poutine : Merci. J'ai invité le chef de l'état-major général à participer aux travaux sur la première question, qui est la question principale. Étant donné que cette question a été soulevée, je demanderais à Valery Vasilyevich de s'exprimer également sur ce sujet, s'il vous plaît.
V. Gerassimov : Camarade Commandant en chef suprême !
Le fait que la partie américaine ne donne pas d'explications officielles sur la déclaration du président Trump concernant la reprise des essais nucléaires ne donne pas de raisons de penser que les États-Unis ne se prépareront pas dans un avenir proche à mener des essais nucléaires.
La partie américaine peut continuer à éluder les explications officielles mais cela ne change rien, car si nous ne prenons pas les mesures appropriées dès maintenant, nous manquerons le moment et les possibilités de réagir en temps utile aux actions des États-Unis. Car la préparation des essais nucléaires, selon leur type, nécessite plusieurs mois, voire plusieurs années.
Nous avons pris connaissance des déclarations de plusieurs hauts responsables américains concernant la reprise des essais nucléaires aux États-Unis et l'analyse de ces déclarations montre que Washington a l'intention de les préparer et de les mener à bien.
V. Poutine : En ce qui concerne les explications, de nombreux collègues ont reçu un télégramme du ministère des Affaires étrangères de notre ambassadeur à Washington à ce sujet. Sergueï Evguenievitch, l'avez-vous reçue ?
S. Narychkine : Oui Vladimir Vladimirovitch. Il y a quelques jours, nous avons reçu un télégramme de l'ambassadeur [de Russie aux États-Unis, Alexandre] Darchiev, dans lequel il écrit que nos diplomates ont contacté l'appareil du Conseil national de sécurité des États-Unis et le Département d'État américain afin de clarifier la teneur des déclarations retentissantes du président des États-Unis d'Amérique, Donald Trump.
Nos collègues diplomates ont demandé ce que signifiait exactement la déclaration faite la veille par le président des États-Unis, concernant les instructions données au Pentagone de passer immédiatement aux essais d'armes nucléaires, et ont demandé des éclaircissements au Conseil de sécurité nationale et au Département d'État. Les représentants de la Maison Blanche et du Département d'État américain ont éludé la question et ont assuré qu'ils transmettraient l'information « à leurs supérieurs » et contacteraient la partie russe s'il s'avérait nécessaire, selon eux, de fournir des explications sur le fond des questions soulevées par les diplomates russes.
V. Poutine : Sergueï Kuzhugetovitch, je sais que le Conseil de sécurité s'est également penché sur cette question et a analysé ce qui se passe à cet égard dans les cercles dirigeants, comme on dit chez nous, des États-Unis eux-mêmes. Avez-vous quelque chose à nous dire à ce sujet ?
S. Choïgou : Oui, Vladimir Vladimirovitch, bien sûr.
Avant et après l'intervention de notre ambassadeur, toutes sortes de déclarations ont été faites, visant pour l'essentiel un seul objectif. Après la déclaration extrême faite par le président des États-Unis le 3 novembre, il a accordé une longue interview dans laquelle il a déclaré à plusieurs reprises que les États-Unis reprendraient les essais nucléaires, tout en accusant la Russie et la Chine de mener de tels essais.
Peu après ou avant lui, le ministre de la Défense, M. Hegseth, a déjà annoncé que le Pentagone exécutait rapidement l'ordre du président américain de reprendre les essais nucléaires. Le vice-président américain Vance a ensuite fait remarquer qu'il était parfois nécessaire de tester l'arsenal nucléaire pour s'assurer qu'il fonctionnait correctement. Le président de la Chambre des représentants, Johnson, lui a donné raison, affirmant que la reprise des essais était une démonstration de force nécessaire pour maintenir la paix et contenir la Russie et la Chine.
Le ministre de l'Énergie Wright, qui est en fait responsable des essais nucléaires aux États-Unis, a déclaré que les essais porteraient sur de nouveaux systèmes et qu'il s'agirait d'explosions non nucléaires. Le président de la commission du renseignement du Sénat américain, Cotton, a quant à lui souligné qu'il ne s'agissait pas d'essais à grande échelle avec des « champignons nucléaires » dans le désert ou dans le sud de l'océan Pacifique, mais de petites explosions souterraines contrôlées, qui sont en fait des essais d'armes nucléaires. Cela permettra aux États-Unis, je cite, de tester à la fois des systèmes adoptés depuis longtemps et des modèles prometteurs d'armes nucléaires.
Sur la base de l'analyse de toutes ces déclarations et de toutes ces affirmations, nous ne comprenons pas très bien les actions et les mesures futures des États-Unis d'Amérique en ce qui concerne la réalisation ou non d'essais nucléaires.
V. Poutine : Alexandre Vasilievitch, votre service s'occupe, comme on le sait, principalement de la lutte contre les services de renseignement étrangers sur le territoire de la Fédération de Russie, mais une partie de votre travail est néanmoins liée aux activités des services spéciaux à l'étranger.
Quelle est votre opinion à ce sujet ?
A. Bortnikov : Vladimir Vladimirovitch, la situation est bien sûr très délicate et complexe. Je suis d'accord qu'il faut la prendre très au sérieux, mais je pense qu'il y a beaucoup de questions à se poser avant de prendre une décision concrète.
À cet égard, Vladimir Vladimirovitch, je vous demande de nous donner le temps nécessaire pour examiner tout cela en détail et préparer des propositions appropriées.
V. Poutine : D'accord.
J'ai pris note de certaines de vos déclarations et de vos opinions, et je tiens à souligner que la Russie a toujours respecté scrupuleusement ses obligations au titre du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires et qu'elle n'a pas l'intention de s'en écarter.
Cependant, j'ai effectivement déclaré dans mon discours devant l'Assemblée fédérale en 2023 que si les États-Unis, ou d'autres États parties au traité, procédaient à de tels essais, la Russie devrait également prendre des mesures de rétorsion appropriées.
À cet égard, je charge le ministère des Affaires étrangères, le ministère de la Défense de la Fédération de Russie, les services spéciaux et les autorités civiles compétentes de tout mettre en œuvre pour recueillir des informations supplémentaires sur cette question, de les analyser au sein du Conseil de sécurité et de présenter des propositions concertées sur le lancement éventuel de travaux préparatoires en vue d'essais nucléaires.
Partons de là. J'attends votre rapport.
Passons maintenant à la question principale de l'ordre du jour d'aujourd'hui. <…>
[1] Le Strategic Command des Etats-Unis lance le 21 octobre 2026 l’exercice Global Thunder 26
[2] Ont participé à la réunion le président du gouvernement Mikhaïl Michoustine, la présidente du Conseil de la Fédération Valentina Matvienko, le président de la Douma d'État Viatcheslav Volodine, le vice-président du Conseil de sécurité Dmitri Medvedev, le chef de l'administration présidentielle Anton Vaino, le secrétaire du Conseil de sécurité Sergueï Choïgou, le ministre de la Défense Andreï Belousov, le directeur du Service fédéral de sécurité Alexandre Bortnikov, le directeur du Service de renseignement extérieur Sergueï Narychkine, le représentant spécial du président pour les questions d'environnement, d'écologie et de transport Sergueï Ivanov, ainsi que le ministre des Transports Andreï Nikitine, le directeur du Service fédéral des troupes de la garde nationale Viktor Zolotov et le chef d'état-major général des Forces armées de la Fédération de Russie Valery Gerasimov.