Pour Anne-Charlotte Fredenucci, PDG du groupe AMETRA, les subventions liées au chômage partiel sont une forme de drogue...

SDBRNews : Quelle est l’exposition du groupe Ametra à la crise économique et sanitaire aujourd’hui ?

Atelier de cablage chez Ametra Group

Atelier de cablage chez Ametra Group

Anne-Charlotte Fredenucci *: Pour mémoire, Ametra est un ingénieriste et un intégrateur, au travers de ses 2 entités : Ametra Engineering et Ametra Integration (ex-Anjou Electronique). Le Groupe Ametra allie aujourd’hui un savoir-faire en ingénierie de produits et moyens mécaniques d’une part, en ingénierie et intégration de systèmes électriques et électroniques d’autre part. Notre activité ingénierie se déploie autour de deux spécialités : activité mécanique et calcul (produits mécaniques et plastiques, outillages industriels, aménagement intérieur, etc.) et activité électricité et électronique soft (réseaux de bord, équipements, gestion de l’énergie, bancs d’essais, etc.). Notre métier d’intégrateur va de la conception à l’intégration et à l’assemblage : nous intégrons des harnais pour Ariane Group, des systèmes électriques et électroniques tels que les commandes de bord du Rafale pour Dassault ou la mini-structure du radar du Rafale pour Thales, des boitiers de commandes pour MBDA, etc. Le groupe compte aujourd’hui 750 collaborateurs dans 12 implantations, en France, en Allemagne, en Tunisie et en Inde. L’activité globale du groupe Ametra se répartit comme suit : 30% pour la Défense, 25% dans l’Aéronautique, 20% dans l’Énergie (essentiellement nucléaire), les 25% restants regroupant le Naval, le Ferroviaire et le Médical. Nous sommes assez diversifiés et notre exposition aéronautique civile pure est donc heureusement relativement faible aujourd’hui.

SDBRNews : Ametra est donc peu exposé à la crise actuelle…

Anne-Charlotte Fredenucci : En analysant les 25% de la rubrique Aéronautique, nous y trouvons en fait tout ce qui vole mais qui n’entre pas dans les systèmes d’armes : par exemple, les systèmes entrant dans le radar du Rafale ou dans ses commandes de vol sont considérés comme de l’Aéronautique. En réalité, la part de notre chiffre d’affaires dans l’aéronautique civile, très impactée par la crise actuelle, se situe autour de 15%. Ce n’est pas notre plus grosse part d’activité. Par contre, nous venions de gagner un référencement en conception électronique (par un équipementier de l’aéronautique) dont nous étions très fiers mais qui, malheureusement, va se révéler inutile pendant les deux années que dure notre référencement, puisque le client en question nous a déjà indiqué ne plus recourir à la sous-traitance sur cette période. Donc il y a un impact direct et un impact indirect pour nous.

SDBRNews : A chaque crise majeure, n’est-ce pas finalement le sous-traitant qui en paie le prix fort ?

Intégration de systèmes électriques chez Ametra Group

Intégration de systèmes électriques chez Ametra Group

Anne-Charlotte Fredenucci : Nous savons bien que les PME de la supply chain des grands groupes sont une variable d’ajustement de charge pour eux, mais la règle est claire dès le début de la collaboration. C’est donc aux PME à avoir une offre suffisamment différenciante et suffisamment inscrite dans la durée pour se rendre indispensables : par exemple, en gérant les approvisionnements long terme avec des fournisseurs, en ayant suffisamment de fonds propres pour pouvoir mettre sur étagères les approvisionnements pour plusieurs années de commandes si cela permet de verrouiller un prix unitaire, etc. A nous PME d’avoir une stratégie pour nous inscrire dans la durée auprès des grands groupes. Certes, c’est plus facile à dire qu’à faire, mais c’est le shift que nous avons réussi à faire avec Ametra entre 2009 et 2019, pour ne plus être vu comme un sous-traitant basique mais comme un partenaire prestataire apportant une valeur ajoutée différenciante et pour amener le client à pérenniser sa relation avec nous. J’ai l’obsession de la robustesse du groupe Ametra, donc aucun client ne doit peser plus de 20% de notre activité globale et aucun secteur ne doit représenter plus de 35% de notre activité. Mais la situation va être tout de même difficile, car 10% de notre activité menacée représente 75 emplois. Je pense en ce moment beaucoup à certains de mes confrères du GIFAS qui font 100 % de leur activité sur l’aéronautique civile et pour qui le risque est existentiel.  

SDBRNews : Etes-vous prêts à redémarrer totalement votre activité ?

Anne-Charlotte Fredenucci : Tout à fait ! Nous avons l’impression que le confinement actuel touche nos clients plus violemment que nous. Depuis le début, toutes les équipes d’Ametra ont été très incitées à continuer à travailler. Nous avons eu un discours clair pour dire que le chômage partiel devait n’être utilisé qu’en tout dernier recours : les subventions liées au chômage partiel sont une forme de drogue et lorsqu’elles s’arrêteront, et ce sera violent, l’impact sera très sévère pour ceux qui en ont abusé. Depuis le début, nous nous battons donc pour maintenir une activité, pour être force de proposition aussi et le dialogue permanent avec nos clients semble porter ses fruits. Nous sommes à 60% de notre activité en France et nous sommes prêts à remobiliser immédiatement les 40% manquants aujourd’hui. Donc nous pouvons absorber une remontée en charge forte de nos clients et nous sommes extrêmement motivés pour un redémarrage rapide. Il faut aussi que nos grands clients remontent vite en charge et surtout qu’ils nous communiquent rapidement des informations, les plus fiables possibles, sur le timing et les modalités de leur reprise…

SDBRNews : Vous deviez exposer à Eurosatory en juin, qui malheureusement a été supprimé. Où est-il encore prévu que vous exposiez dans les 12 mois ?

Anne-Charlotte Fredenucci : Nous devrions participer à Euronaval à l’automne, ce qui sera pour nous une première sur ce salon. Nous sommes très impatients d’y participer, d’autant que nous sommes en contact avec des acteurs du Naval qui pourraient nous donner un développement porteur dans ce secteur.      

SDBRNews : Frederic Valette de la DGA (cf Blog SDBRNews) nous disait le 14 avril : « Les industriels de la Défense ont une chaîne de sous-traitants ou fournisseurs qui sont souvent communs à ces grandes entreprises et nous souhaitons qu’il y ait un effort de fait sur l’application commune de règles de sécurité informatique… ». Quel est votre réaction à ce propos ?

Anne-Charlotte Fredenucci : La sécurité des données informatiques, les nôtres ou celles confiées par nos clients, et la cybersécurité sont des problématiques de premier plan chez Ametra. Nous avons un budget informatique, englobant la protection, de près d’un million d’euros annuel, ce qui représente environ 2% de notre chiffre d’affaires. Nous avons des systèmes d’information branchés directement sur certains de nos grands clients et nous avons des audits réguliers par les services informatiques de ces clients et de la DGA pour s’assurer du bon process de sécurisation. La bonne réponse se trouve dans un système suffisamment robuste pour passer avec succès les audits des clients et de la DGA. C’est une question de confiance dans la supply chain de la Défense. Nous avons 25 ans de Retex sur la cybersécurité et d’ailleurs un 1er audit par Thales pour la partie ingénierie pure à distance nous a récemment valu d’être noté « A » du premier coup. Il est vrai, comme le suggère l’IGA Frédéric Valette, que nous serions ravis de pouvoir passer de 5 audits de 3 jours chacun deux fois par an, comme c’est le cas actuellement, à un audit certifiant tous les 6 mois. Sans compter les audits internes de prestataires que nous organisons pour être prêts aux audits externes.

SDBRNews : Est-ce que pourrait être organisé un audit certifiant comme la norme ISO 27000 qui existe déjà ?

Anne-Charlotte Fredenucci : Je ne suis pas à même de répondre à cette question, mais il me semble que la DGA a raison de pousser à plus de rationalisation et d’homogénéité dans les contrôles des systèmes d’information des partenaires de la Défense. Il y a déjà une grosse partie documentaire dans ces audits et ces journées coûtent énormément d’argent aux PME et ETI. Il serait bon qu’il y ait un audit unique, pas forcément fait par la DGA mais porté par la DGA et utilisé par nos clients. La DGA a la légitimité pour créer un groupe de travail avec les grands groupes et les PME pour aboutir à la définition des normes d’un audit  unique, tenable par les PME et les ETI : par exemple avec différents niveaux, selon leurs tailles ou la criticité de leurs données. Nous sommes très ouverts à participer à cette réflexion si elle devait s’instaurer…

Ametra logo.jpg