Interview du Vice-amiral d’escadre (2S) Arnaud Coustillière

SDBR News : Pourquoi le Pôle d’Excellence Cyber est-il né en Bretagne ?

VAE Arnaud Coustillière : Le Pole d’Excellence Cyber (PEC*) est né d’un bouillonnement entre nos réflexions pour la création d’un écosystème cyber, les initiatives en 2011 du général Eric Bonnemaison, commandant des Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan  qui souhaitait positionner son Ecole sur le sujet Cyber (avec la création en 2012 de la Chaire de Cyberdéfense et Cybersécurité Saint-Cyr), du ministre Jean-Yves Le Drian, qui avait été approché dès 2011 en tant qu’élu régional, et du besoin de concentrer nos ressources et compétences. Il avait très vite été convaincu de l’importance de ce domaine, ainsi que les membres de son cabinet au ministère des Armées. Donc, lorsque nous avons proposé en janvier 2012 la création d’un Pôle, il a été très vite soutenu par l’entourage du ministre dès leur arrivée. Le cabinet du ministre nous a très vite apporté son soutien pour l’inscrire au Pacte Défense Cyber et lui donner toute sa portée, avec les 13 premières entreprises qui se sont engagées de façon un peu solennelle via la cosignature d’une lettre d’intention. Au même moment était écrit le Pacte d’Avenir pour la Bretagne, ce qui fait que les deux propositions se sont répondues et que le Pole d’Excellence Cyber a été inscrit dans le Pacte d’Avenir pour la Bretagne en 2013, signé par le premier ministre. Le PEC est né en Bretagne car la Région était déjà fortement impliquée dans le sujet et l’avait identifié comme un axe de développement important pour la Région dès 2013 dans la continuité de sa forte culture Télécom. Donc il s’agit bien d’un partenariat très fort entre le ministère des Armées, la Région Bretagne et les entreprises qui ont fondé le PEC, rejoint rapidement ensuite par d’autres, des PME, universités, écoles d’ingénieurs et centres de recherche.

SDBR News : Quel est l’objectif du PEC ?

VAE Arnaud Coustillière : L’idée maitresse était qu’il ne pouvait y avoir de cyberdéfense « autonome » sans un écosystème national « solide et autonome dans ses volets les plus sensibles », qui dépasse la seule BITD de défense car les acteurs sont en grande part issus du domaine numérique par essence très dual : donc favoriser et appuyer la construction d’une filière «cybersécurité et cyberdéfense» à dominante régalienne, apte à s’adapter à l’évolution des menaces et conflictualités numériques, d’envergure nationale à partir de la Bretagne, contribuant au développement européen et rayonnant à l’international.

On voit bien aujourd’hui que cette conflictualité est à la croisée de trois grandes dynamiques : les enjeux de puissance des Etats qui avancent le plus souvent masqués, une guerre économique qui fait rage avec notamment l’intelligence économique et le renseignement d’affaires, et enfin une cybercriminalité devenue galopante et qui s’est « industrialisée ». Le ministère des Armées porte le regard régalien de cette ambition. Ainsi, un certain nombre d’attentes et d’ambitions ont pu être identifiées et exprimées en son nom :

  • La mise à disposition de ressources humaines qualifiées, pouvant être habilitées « Secret » ; nombreuses en France en général et sur le territoire en particulier du fait de la présence de nombreuses entités étatiques sensibles.

  • Maintenir l’excellence technique, scientifique, industrielle du territoire autour de la DGA - Maîtrise de l’information - et de ses partenaires.

  • Être la place de référence des discussions ministère des Armées / industrie / institutionnels / académiques.

  • Assurer une communication efficace et de qualité, au profit du territoire, du ministère des Armées et de ses membres tant industriels qu’académiques.

SDBR News : Comment se décline cet objectif global ?

VAE Arnaud Coustillière : Le PEC a été structuré autour de 3 axes initiaux - formation, recherche, développement économique - et parallèlement aux 3 niveaux : régional, national et européen, complétés d’approches transverses. Le Pôle a vocation à mettre en interaction la formation, la recherche et le développement économique afin d’identifier des effets de levier complémentaires à ceux déjà existants, aujourd’hui complétés par des axes transverses liés aux enjeux internationaux, sociétaux (inclusion notamment) et de certification. Il s’agit donc de créer des lieux d’échanges décloisonnés pour identifier les demandes et besoins des différents acteurs, d’anticiper les évolutions des menaces et des technologies, afin de définir les solutions nécessaires permettant de conforter la souveraineté numérique. Ce modèle impose à chacun des membres un engagement de participer pleinement aux travaux du PEC et d’accepter le partage d’informations pertinentes, dans le cadre d’un cercle de confiance nécessairement limité au regard de l’ambition de souveraineté.

SDBR News : Combien de membres participent au PEC aujourd’hui ?

VAE Arnaud Coustillière : A ce jour, 90 membres participent au Pole d’Excellence Cyber. Prochainement une centaine, l’idée n’est pas de faire du nombre mais de rassembler ceux qui ont une fibre régalienne avec un objectif de développement européen, sans renoncer bien sûr à l’international. Ils se répartissent en Institutions publiques, Laboratoires de recherche, Écoles et Universités, Industriels et PME/PMI. Depuis 2021, une trentaine d’organisations nous ont rejoints, pour la plupart venues d’autres régions de France et en particulier d’Ile de France ; un socle régional important existe au travers des centres de recherche et des écoles mais aussi des grandes entreprises qui ont fortement augmenté leur présence. Ces organisations et ces entreprises extérieures à la Bretagne viennent certainement chercher au PEC un « ADN » Cyber et un réseau de confiance à forte connotation régalienne.

SDBR News : Le PEC co-organise en outre l’European Cyber Week (ECW). Etiez-vous satisfait de l’édition 2021 ?

VAE Arnaud Coustillière : L’ECW est un peu l’événement des membres du PEC, avec une vingtaine d’événements co-localisés au même endroit : chaque événement est confié à un ou plusieurs membres du PEC, la société Hopscotch réalisant l’organisation du volet évènementiel. L’année dernière, l’édition 2021 de l’ECW a vu plus de 4000 visiteurs des secteurs publics comme privés du domaine de la cybersécurité nationale et européenne, consacrant ainsi l’ECW comme lieu de rencontre privilégié de la communauté cyber proche des services de l’Etat. Pour cette 7e édition de l’European Cyber Week**, qui se déroulera à Rennes du 15 au 17 novembre 2022, les grands thèmes seront l’Europe, la coopération franco-canadienne, les enjeux sociaux avec la promotion des femmes dans la cyber, l’inclusion des handicapés (notamment des autistes Asperger) dans les emplois cyber, la sécurité de la chaine logistique, le renseignement cyber, la cryptographie post-quantique, la journée de l’innovation stratégique et celle des investisseurs, sans oublier les conférences techniques de la DGA et les challenges et compétitions techniques montés par nos membres. En 2021, nous avions 90 exposants et ce nombre devrait être dépassé en 2022. L’ANSSI y sera très présente en cohérence avec l’installation de sa composante rennaise.

SDBR News : Vous constatez que la filière Cyber manque de ressources humaines en ce moment. A votre avis pourquoi ?

VAE Arnaud Coustillière : C’est l’un des objectifs premiers de la création du PEC. Dans notre document de vision stratégique 2022, nous avons mis l’accent sur la Formation en participant de plus en plus à des appels à projets de la stratégie nationale mais aussi européenne. Mais à chacun son boulot. L’État français a fait en sorte que ses élèves se désintéressent, depuis des années, des sciences dures. Le constat aujourd’hui, c’est que les élèves s’orientent très tôt vers des sciences plus sociales et, alors qu’en Terminale à dominante scientifique les filles ont des résultats meilleurs que les garçons, nous ne les retrouvons pas dans les écoles d’ingénieurs. Et le mouvement va s’accentuer avec la quasi-disparition des mathématiques dans le secondaire qui a touché les générations se présentant aujourd’hui dans les écoles post bac. Nous sommes tombés dans un écosystème global où les élèves vont moins dans les écoles d’ingénieurs. Au-delà, ce mouvement se retrouve dans le domaine pointu qu’est la Cyber. En plus de ce manque général de ressources pour les matières scientifiques, dont la Cyber, nous avions un manque général de formation. C’est le volet auquel le PEC a voulu s’attaquer en faisant en sorte que les employeurs et les écoles échangent sur les évolutions transversales de carrières. C’est ce que fait par exemple Nokia à Lannion, en réorientant des électroniciens vers la cyber et le traitement des données. La voie de la formation continue ou encore celle des techniciens sont aussi des axes de travail. Les différents axes de travail du PEC sont confiés à nos vice-présidents, eux-mêmes acteurs de terrain de ces sujets.

SDBR News : Comment se concrétise le volet recherche et innovation du PEC ?

VAE Arnaud Coustillière : Au sein du PEC par exemple, la région Bretagne parle beaucoup avec la DGA pour savoir comment orienter les flux de recherche des Armées qui vont dans les régions et les mettre en synergie avec ceux de la région. En matière d’innovation, nous avons signé un certain nombre de partenariats : avec le Pôle Systematic, avec France Cyber Booster, avec le fonds Brienne III et bientôt avec le fonds Cyber Impact. Et bien sûr le PEC est membre du Campus Cyber national qui est un axe fort de coopération et un grand nombre de nos membres y sont aussi. Le PEC en est l’un des cercles de confiance. Michel Vandenbergue était d’ailleurs un peu notre invité d’honneur lors de l’ECW 2021.

*PEC : https://www.pole-excellence-cyber.org

** Rendez-vous du 15 au 17 novembre 2022, au cœur du prestigieux couvent des Jacobins à Rennes : https://www.european-cyber-week.eu