Interview du VAE (2S) Arnaud Coustillière - Président du Pôle d'Excellence Cyber

SDBR News : Il y a deux ans, vous nous disiez que le Pôle d'Excellence Cyber* était devenu un catalyseur d’innovations encouragé par la région Bretagne. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Arnaud Coustillière : Le Pôle d’excellence cyber (PEC) poursuit sa dynamique avec actuellement 110 membres qui portent plusieurs milliers d’emplois. Notre association a été conçue entre 2012 et 2014 pour participer à la création d’un écosystème favorable à la cyberdéfense souveraine. Lorsqu’on observe qu’il y a 8000 emplois en matière de cyber en 2020 autour de Rennes et que toutes les grandes entités françaises travaillant pour le Minarm s’y sont installées, plus un réseau de start-up et un réseau académique, nous pouvons dire que le Pôle est une réussite. Mais le PEC reste très centré sur son ADN, à savoir le Cyber régalien. Notre évolution dans le modèle concerne notre engagement au profit de notre second membre fondateur, la Région, en recrutant des permanents pour soutenir les différents appels à projet où des consortiums bretons ont gagné : dans ces consortiums, le PEC a souvent joué un rôle de coordonnateur des positions des différents intervenants. Pour l’EDIH Bretagne nous assumons la conduite du diagnostic Cyber initial. Par exemple, dans l’appel d’offre à « Compétence et Métiers d’Avenir » (CMA) qui va alimenter les instituts de formation bretons qui ont participé, le PEC a gardé l’animation du conseil d’orientation stratégique sur la définition des métiers et la naissance des besoins.

SDBR News : Le PEC est-il en fait un outil de développement de l’emploi en Bretagne?

Arnaud Coustillière : Ce qui est intéressant dans l’appel d’offre CMA c’est de former plusieurs milliers d’étudiants ; mais ils viendront de partout en France et leurs emplois futurs ne seront pas exclusivement en Bretagne. Le Pôle n’est pas fait pour développer la Bretagne en tant que telle, mais pour apporter sa contribution à la posture nationale de cybersécurité à partir de la Bretagne, avec notamment l’appui de la Région, des Territoires et de tous les opérateurs bretons. C’est un modèle original qui va devoir coopérer avec le Campus cyber breton, qui se structure en ce moment, et auquel le PEC apportera son expertise et son appui. C’est pour cela que le PEC, qui était une association à l’organisation très légère à l’origine, est en train de se structurer avec des permanents financés par l’association et d’autres mis à disposition par ses membres. La dimension de l’association est donc en train de changer.

SDBR News : La dimension du PEC change, mais ses axes de travail changent-ils?

Arnaud Coustillière : Ses axes principaux de travail sont toujours les mêmes : la R&D, la formation et l’accompagnement de nos membres sur des opérations d’export, notamment à Singapour et au Canada. Lors de l’European Cyber Week**, il y aura une journée dédiée au développement au Canada, durant laquelle je signerai un partenariat de coopération avec l’association InSec-M, qui rassemble plus de 400 sociétés canadiennes œuvrant dans le Cyber, avec pour objectif de favoriser un business croisé entre nos membres.

La formation reste un axe majeur pour le PEC, en particulier le lien avec les écoles et l’insertion des jeunes diplômés dans un écosystème de confiance. De la même manière, le PEC est toujours très engagé dans l’inclusion et la diversité:

  • c’est notamment l’objectif du programme des « Cadettes de la Cyber », avec diverses initiatives pour porter la voix des femmes sur la scène cyber, en organisant notamment des rencontres au sein des collèges, lycées, écoles et universités.

  • Sur un tout autre sujet, le Pôle d’Excellence Cyber travaille de la même manière pour l’inclusion des personnes « neuro-atypiques », car elles représentent aujourd’hui un potentiel important de talents à intégrer dans la filière cyber.

SDBR News : Dans le contexte de menaces avérées sur la France, est-ce que le Pôle a mis l’accent sur des réponses en matière de Cyber?

Arnaud Coustillière : Nous avons fait entrer dans le PEC des sociétés qui travaillent sur la désinformation, car c’est un axe fort dans le périmètre concernant le Cyber et les Armées, en particulier les services de renseignement. Nous évoluons dans le traitement de la donnée sensible et dans la désinformation, avec des membres tels que ChapsVision, Sahar ou Storyzy. Notre positionnement dépasse la seule cybersécurité ; c’est la cyberdéfense au sens du ministère des Armées.

Les membres du Pôle ont également publié cette année, un ouvrage collectif intitulé « Lutte contre les manipulations de l’information, regards croisés d’experts du domaine » pour éclairer sur les différentes formes que peut prendre la désinformation ; il est en chargement libre sur notre site, lui aussi en cours de refonte.

SDBR News : Que pensez-vous de l’engouement soudain pour l’intelligence artificielle (IA)?

Arnaud Coustillière : L’IA n’est pas une technologie unique : c’est faire des algorithmes pour travailler sur des données, spécialité qui existe depuis des années. Il vaut d’ailleurs mieux parler d’intelligence augmentée plutôt qu’artificielle, parce que ce n’est pas de la vraie intelligence au sens de la créativité que l’intelligence humaine possède. L’IA est en fait une mécanique extrêmement performante de puissance de calcul et d’algorithmes qui ouvre la voie à des possibilités extraordinaires d’emplois. Aujourd’hui toutes les entités nous disent travailler sur l’IA et le Cyber : dans certains cas il est en effet question d’algorithmes puissants et de recherche, ailleurs c’est plutôt du « replâtrage ». Face à la recrudescence des attaques, qui impose de traiter des masses de données et de logs pour trouver des traces, l’IA est importante pour compenser le manque de ressources humaines et permettre de concentrer les ressources sur des travaux à forte valeur ajoutée. Il faut donc le plus possible automatiser le traitement de ce qui peut l’être et, dans ce domaine, l’IA est un facteur multiplicateur de progrès pour supporter l’automatisation. Des sociétés comme Tehtris, Harfanglab ou Mandiant ont bien compris la nécessité de l’automatisation, élément clé d’une architecture pour permettre que l’Homme soit à sa juste place.

SDBR News : Que pensez-vous de l’IA générative?

Arnaud Coustillière : C’est une autre rupture d’une autre nature qui va devenir perturbante dans le domaine de la désinformation : le traitement ou le retraitement des images et de la voix rendant difficile de juger de la fiabilité des sources. Nous allons donc avoir une information de plus en plus volumineuse, dont nous serons de moins en moins capables de garantir la fiabilité ou non de la source. Cette IA générative négative sera sûrement un des grands défis de l’avenir…