Security Defense Business Review

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La dernière interview d'Antoine Bouvier comme Président de MBDA

Antoine Bouvier vient de quitter son poste de Président exécutif du missilier MBDA, après 12 ans passé dans cette fonction, pour prendre la responsabilité de la stratégie, des fusions-acquisitions et des affaires publiques du groupe AIRBUS.

Le 09 Avril 2019, Antoine Bouvier avait accordé sa dernière interview comme Président exécutif de MBDA à la newsletter “SECURITY DEFENSE Business Review” (N°213). La voici:

SDBRNews : Vous venez de présenter les résultats de l’exercice 2018 de MBDA. Comment les qualifiez-vous ?

Antoine Bouvier : Nous pouvons dire que MBDA a réalisé un très bon exercice 2018, doublé d’un carnet de commandes record. Grâce à de nouveaux succès sur ses marchés domestiques, MBDA a enregistré l’équivalent de 2,5 Md€ de commandes provenant de ses clients nationaux et 1,5 Md€ à l’Export, portant ainsi notre carnet de commandes à 17,4 Md€. Le chiffre d’affaires de la société a pour sa part légèrement augmenté, atteignant 3,2 Md€, ce qui nous a amené à augmenter nos cadences de production. Notre rentabilité opérationnelle est toujours solide (10% du chiffre d’affaires), ce qui nous permet d’investir dans la préparation du Futur. Le volume important de nouvelles commandes s’est accompagné, tout au long de l’année 2018, de nombreux recrutements au sein de la société, avec près de 1200 nouveaux collaborateurs embauchés à travers l’Europe. MBDA prévoit d’en recruter encore 1000 cette année, dont environ 500 en France. Nous avons travaillé dans le cadre de notre vision stratégique, qui n’a pas changé par rapport aux années précédentes mais qui s’adapte à un environnement qui lui-même a changé, aussi bien au niveau international qu’au niveau européen.

Pouvez-vous préciser votre vision stratégique ?

Antoine Bouvier : Le principe de notre vision stratégique est toujours articulé autour des trois cercles : le cercle national qui est le cercle de la souveraineté dans chacun des pays de MBDA (Allemagne, Espagne, France, Italie et Royaume-Uni), le cercle européen qui est le cercle de la coopération et le cercle international qui concerne l’Export hors-Europe mais aussi des coopérations. Il faut souligner que c’est l’international hors-Europe qui nous a permis depuis des années d’atteindre la taille critique pour concurrencer les grands missiliers, en particulier les américains (Raytheon et Lockheed Martin), et qui nous permet d’apporter à chacun des pays du cercle national le soutien au développement et la garantie de leur souveraineté. Rappelons que MBDA est la seule entreprise européenne dont la taille est équivalente à celle de ses concurrents américains sur son domaine : MBDA fait 20% du marché mondial tactique. Cette taille critique nous apporte les ressources nécessaires (technologiques, humaines et financières) au développement sur le long terme et, en particulier, la capacité à être présent sur l’ensemble de la gamme et sur l’ensemble des marchés.

A quelles évolutions de l’environnement faisiez-vous allusion ? 

Antoine Bouvier : Nous sommes dans un environnement plus compliqué que les années précédentes. Sur le marché Export, la concurrence est forte et il y a des questions et des incertitudes sur les licences export. Nous avons l’ambition d’atteindre un chiffre d’affaires de 4Md€ en 2020, chiffre d’affaires atteignable du fait de nos prises de commandes, mais objectif menacé par les restrictions de licences d’exportation hors Europe auxquelles nous sommes présentement confrontés… Au plan européen, nous ne pouvons pas ne pas penser au Brexit, mais nous constatons aussi des pressions nationales dans d’autres pays que le Royaume-Uni. Dans cet environnement, MBDA a constaté un rééquilibrage de ses activités entre le domestique (en fait l’européen) et celles que nous avons en dehors de l’Europe. Dans les années précédentes, notre activité hors Europe était plus importante que notre activité intra-européenne. En 2018 a commencé un mouvement qui va se prolonger sur les prochaines années et qui nous permettra de renforcer la base technologique européenne et le développement de nouveaux produits ; cela signifie plus de technologies, plus d’investissements et plus de programmes en Europe, dans chacun de nos pays, pour préparer les nouvelles générations de produits, attendues par les Forces armées européennes et extra-européennes.

Quels ont été les faits marquants de 2018 pour MBDA ?

Antoine Bouvier : Parmi les commandes nationales les plus importantes enregistrées en 2018, figurent le lancement par la Direction générale de l’armement du développement du missile air-air MICA de nouvelle génération (MICA NG), le renouvellement du soutien en service du missile Aster pour la France, l’Italie et le Royaume-Uni, et la modernisation et le soutien du missile de croisière Taurus en Espagne. Les principales commandes à l’export portent sur l’armement des avions de combat Eurofighter Typhoon et des hélicoptères NH90 commandés par le Qatar, mais aussi sur de nouvelles acquisitions des missiles Taurus, MMP et Mistral. Au plan des livraisons, MBDA a fourni des capacités opérationnelles majeures aux forces armées de ses pays nationaux, avec le déploiement opérationnel du MMP au sein de l’armée de Terre française, l’entrée en service du Sea Ceptor dans la Royal Navy, des avancées importantes sur le système Land Ceptor destiné à l’armée de Terre britannique, le premier tir d’essai du missile antinavire Marte ER en Italie et la mise en service des missiles Meteor, Storm Shadow et Brimstone sur Eurofighter. Enfin, au plan des grands programmes, le MMP a été choisi comme missile de référence pour le développement d’une capacité de Tir Au-delà de la Vue Directe (TAVD) sous autorité de conception européenne, avec la mise en commun d’une doctrine d’emploi et d’une formation pour les forces européennes, dans le nouveau cadre de la Coopération Structurée Permanente (CSP) de l’Union Européenne.

Pourquoi avoir choisi d’investir en 2018 dans la société Dolphin ?

Antoine Bouvier : MBDA a racheté, avec la société Soitec, la PME grenobloise Dolphin Integration, spécialiste des circuits intégrés à basse consommation de type SoC (System on Chip), des composants électroniques très sensibles. Dolphin Integration était en redressement judiciaire et ne trouvait pas de partenaire pour aider à son sauvetage. MBDA a souhaité renforcer la souveraineté européenne au sein de sa chaîne d’approvisionnement en aidant à pérenniser ce fabricant.

Le programme franco-britannique de missile antinavires est-il toujours d’actualité ?

Antoine Bouvier : Non seulement il est toujours d’actualité, mais nous venons de franchir une étape très importante. Le programme FMAN/FMC (Futur Missile Antinavires / Futur missile de croisière) résulte de la relation de défense très étroite nouée entre la France et le Royaume-Uni au travers des traités, dits de Lancaster House, signés le 2 novembre 2010. Le programme FMAN/FMC est né de besoins convergents exprimés par la France et le Royaume-Uni pour disposer d’une capacité antinavire à longue portée pour un emploi en haute mer, d’une capacité de frappe des défenses aériennes les plus avancées et d’une capacité d’engagement des objectifs durcis dans la profondeur du dispositif adverse. Le FMAN/FMC vise à remplacer les missiles de croisière tirés d’avion SCALP/Storm Shadow en service en France et au Royaume-Uni, ainsi que les missiles antinavires Exocet en France et Harpoon au Royaume-Uni. Deux ans après le lancement de la phase de concept FMAN/FMC en 2017, MBDA se réjouit du succès de la revue principale d’architecture (« Key Review ») menée conjointement avec les agences d’armement française de la DGA et britannique du Defence Equipment & Support (DE&S). La conclusion de cette « Key Review » permet de sélectionner les concepts les plus prometteurs de missiles répondant aux besoins exprimés par les forces armées des deux pays. Des études plus poussées de ces concepts seront poursuivies en vue de faire émerger les solutions qui seront retenues au terme de la phase de concept en 2020, puis de lancer la phase de développement et de production vers 2024. Ce programme est vraiment au cœur de la coopération franco-britannique et se double d’un évènement très symbolique et positif : pour la 1ère fois sous la Vème République, la Chambre des Communes et l’Assemblée Nationale ont créé une Commission de la Défense mixte. Cette commission a conclu, dans son observation du programme FMAN/FMC, qu’il était structurant pour les deux pays sur les plans stratégique, militaire, économique, industriel, et qu’il était aussi un objectif de souveraineté partagé. Il y a donc une même volonté politique de coopération qui doit être pérennisée, ce qui est à souligner dans le contexte actuel.

Comment réagissez-vous aux limitations posées par l’Allemagne des licences d’exportation de produits MBDA hors Europe ?

Antoine Bouvier : Ces limitations concernent en premier lieu certaines parties du missile air-air longue portée Meteor, fabriqué par MBDA UK et destiné à équiper les Eurofighter Typhoon de l’Arabie Saoudite. Il convient de rappeler que ce sujet, avant d’être industriel, relève de la seule souveraineté des États. Accorder ou non une licence d’exportation pour des matériels militaires est une décision qui appartient aux seuls Gouvernements. Selon la façon dont ce calendrier politique va se mettre en place en 2019, nous aurons ou non des conséquences sur notre chiffre d’affaires. Je note cependant que la signature du nouveau traité d’Aix-la-Chapelle est un signal très encourageant pour la poursuite du développement des programmes en coopération dans le secteur de la défense. Il s’inscrit parfaitement dans la philosophie de notre entreprise qui est basée sur le principe de la collaboration européenne. L’exclusion d’un pays partenaire irait à l’encontre de tous nos principes et valeurs, et cette option n’en est donc pas une. L’objectif d’une société comme MBDA est bien de contribuer au rapprochement de nos pays domestiques en permettant, par le biais de la collaboration sur des questions aussi importantes que celles du développement de la filière missilière, de renforcer les partenariats de confiance qui les lient.                                                 

 * La société MBDA est codétenue par Airbus (37,5 %), BAE Systems (37,5 %) et Leonardo (25 %).

www.mbda-systems.com Crédits Photos MBDA